Sabine Réthoré 1998-2020?


Projection de Richard Buckminster Fuller (1954)
Projection de Peters (1974) McArthur's Universal Corrective Map of the World(1978)

West Position Map Sabine Réthoré (2000)

Artiste au pays des cartes
 

 

Au fil de mon travail à travers les cartes et les globes, j’ai voulu proposer au public une cartographie fondée sur de nouveaux repères.
 

Car la transcription géographique, sur la carte ou la mappemonde, ne va pas de soi, contrairement à ce qu’une longue tradition de représentations ethnocentriques du monde pourrait nous faire croire. Parce que je suis française, j’hérite de l’un des passés cartographiques les plus riches du monde, mais aussi d’une géographie paradoxalement fermée à l’altérité ou à la pluralité.
 

Dès 1998, l'absence de choix dans la représentation de la terre m’a posé question. Des voyageurs me parlaient de cartes où le monde était renversé, de cartes américaines centrées sur le continent Américain, mais il était impossible en France de les obtenir dans le commerce. Ces modèles étaient des curiosités dont on parlait, mais qu'on ne voyait jamais. Quant aux planisphères que l’on pouvait acheter, ils n'étaient jamais complets. Des encarts masquaient toujours certaines parties de l'hémisphère sud. L'atlas que j'avais choisi comportait des erreurs, souvent volontaires car ces indications fausses sont le seul moyen de protéger les cartes de la copie.
 

Les cartes cachaient la terre autant qu’elles la montraient. Le renouvellement de la pratique cartographique au siècle dernier l’avait déjà suggéré : la place des pôles, Nord en haut et Sud en bas, est, par exemple, le fruit d’une convention héritée des grecs qui permet de donner une place centrale à l’Occident. Quant à l’Afrique, pourquoi, par le jeu de la projection, semble-t-elle, sur bien des mappemondes, beaucoup moins grande qu’elles ne l’est en fait ? L’on peut inventer bien d’autres configurations, essayer d’autres échelles, disposer la carte autrement pour voir le monde différemment.
 

Ces questions initiées par les cartographes, j’ai voulu les transcrire avec mes moyens propres, le dessin et le trait. Je me suis faite cartographe, aussi précise et rigoureuse que possible dans mes tracés. J’ai aimé dessiner les lignes de la carte, comme le calligraphe aime à dessiner des lettres : la qualité du trait doit servir le sens, et, dans le cas de la carte, doit permettre une représentation signifiante du monde.

Ma cartographie est exacte. Mon point de vue diffère. J’ai orienté mes pôles d’Est en Ouest, pour suivre la course de soleil et du temps, et offrir à chacun, une fois par jour, le zénith.
 

 

Un événement technique – et de mon point de vue d’artiste-cartographe un quasi-miracle, est venu confirmer mes intuitions et enrichir mon travail.
 

Avec Google Earth, le dessin de la terre est devenu libre d'utilisation, tandis que l’on pouvait téléchager sous tous les angles et de tous les points de vue possibles, des images multiples de la planète. Comme un portraitiste diversifie les points de vue sur son modèle dont il stylise et façonne les traits, de même, à présent, puis-je observer la terre librement et comme je l’entends, en multiplier et en modifier les apparences, lui demander de prendre la pose, ou d’en changer, au gré de mes désirs.
 

La carte alors chatoie d’autant de nuances que les paysages livrés par le regard et la main des peintres du passé. On a longtemps peint la nature pour dire le monde. Je peux aujourd’hui peindre des cartes pour le dire ou le réinventer, le transformer peut-être.
 

Car c’est aussi de transformation qu’il s’agit. Et donc de politique. A l’ordre établi d’une cartographie du passé, j’entends substituer mes cartes comme autant de propositions pour extirper le monde de l’univocité, comme autant de suggestions pour pluraliser, renverser, nuancer, discuter nos certitudes sur la planète.
 

J’essaie donc, depuis dix ans, de jouer à brouiller les cartes. Toujours dans l’espoir de refaire le monde.
 

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